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mon âge, en me touchant les dents, je pris la main sale et mal propre d’un homme qui venoit souvent la fourrer dans ma bouche, et me gratter les gencives avec ces vilains doigts, et je la lui écrasai entre mes dents, ce qui fit que personne n’eut plus envie de m’acheter, comme étant un animal trop farouche.

Alors le crieur public se rompant la tête à force de clabauder, faisoit cent mauvaises plaisanteries sur moi, avec sa voix enrouée. Jusqu’à quand, disoit-il, exposerons-nous inutilement en vente cette vieille et misérable rosse, dont les jambes sont ruinées, qui est d’un vilain poil, outre cela, qu’il est furieux au milieu de sa paresse et de sa stupidité, et dont la peau n’est plus bonne qu’à faire un crible ? Que n’en faisons-nous un présent, s’il se trouve quelqu’un qui en veuille, et qui ne se soucie pas de perdre son foin. Par ces sortes de discours, ce crieur faisoit rire le peuple qui étoit autour de lui.

Mais ma mauvaise fortune, qu’il m’avoit été impossible d’éviter, en quelqu’endroit que j’eusse été, ni de fléchir par tout ce que j’avois souffert, vint encore me regarder de travers, en me trouvant, par un hasard extraordinaire, un acheteur, tel qu’il le falloit pour faire durer mes malheurs. C’étoit un vieux eunuque chauve, à qui il pendoit encore quelques cheveux gris et crépus, l’un de ces misérables, qui font demander l’aumône à la déesse de