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sa maîtresse, apporta, sans faire de bruit, des verres, avec un grand vase plein de vin, où l’on avoit mêlé une drogue assoupissante, et lui faisant croire que Carite étoit auprès de son père qui étoit malade, et que c’étoit ce qui l’empêchoit de le venir trouver si-tôt, à force de verres de vin qu’elle lui présenta, qu’il buvoit avec plaisir et sans aucune défiance, elle l’ensevelit dans un profond sommeil.

Si-tôt que Thrasile fut en cet état étendu de son long, et exposé à tous les outrages qu’on voudroit lui faire, Carite, que la nourrice avoit été avertir, entre dans la chambre, animée d’un courage au-dessus de son sexe, et s’approche avec empressement du meurtrier de son mari, en frémissant de fureur. Voilà, dit-elle, ce fidèle compagnon de mon époux ; voilà cet illustre chasseur ; voilà ce cher mari : c’est cette main qui a versé mon sang ; c’est dans ce cœur que se sont formés tant de pernicieux desseins : ce sont-là les yeux à qui j’ai plu pour mon malheur, qui sont obscurcis de ténèbres par avance, comme s’ils avoient prévu qu’ils vont être pour jamais privés de la lumière, et qu’ils eussent prévenu leur supplice. Dors tranquillement, perfide, et jouis des rêves agréables dont tu es flatté présentement : je ne te frapperai point avec une épée, ni avec aucune autre arme ; aux Dieux ne plaise que je veuille t’égaler à mon mari, par un genre de mort pareil au sien. Tes yeux mourront pendant ta vie, et tu ne