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arrive au lieu où étoit le corps de son époux ; le cœur et les forces lui manquent ; elle se laisse tomber sur lui, et il ne s’en fallut guères qu’elle n’expirât en cet état, et qu’elle ne lui sacrifiât une vie, qu’elle lui avoit consacrée ; mais ses parens, quoiqu’avec beaucoup de peine, l’arrachèrent de dessus ce corps privé de vie, et l’empêchèrent, malgré elle, de mourir.

Cependant on porte le corps de Tlépolême au tombeau, tout le peuple accompagnant cette pompe funèbre. Alors Thrasile commença à faire des cris extraordinaires, à se battre la poitrine, et sa joie s’augmentant dans le fond de son cœur, il répandit des larmes qu’il n’avoit pu verser dans le commencement de sa feinte douleur, et cachoit la vérité de ses sentimens par plusieurs noms de tendresse qu’il donnoit à Tlépolême ; il l’appelloit d’une voix triste et lugubre, son ami, son camarade et son frère. Pendant ce temps-là, il ne laissoit pas d’avoir soin de retenir les mains de Carite, quand elle vouloit se donner des coups sur la poitrine, et de faire ses efforts pour arrêter les transports de sa douleur, et pour modérer ses cris et ses sanglots, il tâchoit même d’adoucir l’excès de son affliction par des discours affectueux qu’il entremêloit de plusieurs exemples des revers de la fortune inconstante. Au milieu de toutes ces fausses démonstrations d’une amitié généreuse, il avoit cependant attention à prendre de temps en temps les bras et les mains de Carite, qu’il