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tout ce que j’avois. Ainsi, réduit à la dernière nécessité, j’allai loger chez une vieille cabaretière nommée Meroé (26), mais qui étoit encore femme galante. Je lui contai le sujet de mon voyage, et la triste avanture qui venoit de m’arriver dans le même jour ; quand je lui eus fait le récit de tout ce dont je me ressouvenois, elle me traita fort humainement, me donna très-bien à souper, et gratuitement ; ensuite, abandonnée aux transports d’une passion déréglée, elle me fit part de son lit : depuis ce fatal moment où j’ai connu cette malheureuse, je me suis trouvé comme ensorcelé, jusqu’à lui donner mes habits, que les honnêtes voleurs avoient bien voulu me laisser, et tout ce que je gagnois en exerçant le métier de fripier, pendant que je me portois bien. C’est ainsi que ma mauvaise fortune et cette bonne femme m’ont enfin réduit dans l’état où vous m’avez trouvé.

En vérité, lui dis-je, vous méritez de souffrir ce qu’il y a de plus cruel au monde, si toutefois quelque chose peut l’être davantage que ce qui vous est arrivé, d’avoir préféré un infâme plaisir, une vieille débauchée, à votre femme et à vos enfans. Mais, effrayé de mes reproches, il porta son doigt sur sa bouche, taisez-vous, taisez-vous, me dit-il, d’un air surpris et effrayé ; et regardant de tous côtés, comme un homme qui craint qu’on ne l’écoute, gardez-vous bien, continua-t-il, de parler mal d’une femme qui a un pouvoir divin, de crainte que votre