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prise, qui, accourant au bruit, vit un fort beau spectacle. Elle trouva une vieille Dircé (42), traînée, non par un taureau, mais par un âne. Cette fille prenant une courageuse résolution, s’enhardit à faire une action merveilleuse ; car ayant arraché la longe de mon licou des mains de la vieille femme, et m’ayant flatté pour m’arrêter, elle monte tout d’un coup sur moi, et m’excite à courir de toute ma force.

L’envie que j’avois de m’enfuir et de délivrer cette jeune fille, jointe aux coups qu’elle me donnoit pour me faire aller plus vîte, me faisoit galoper, comme auroit pu faire un bon cheval. Je tâchois de répondre aux paroles flatteuses qu’elle me disoit par mes hennissemens, et quelquefois détournant la tête pour faire semblant de me gratter les épaules, je lui baisois les pieds. Cette fille poussant un profond soupir, et levant ses tristes yeux au ciel : Grands Dieux, dit-elle, ne m’abandonnez pas, dans l’extrême péril où je me trouve : et toi, fortune trop cruelle, cesse d’exercer tes rigueurs contre moi ; tu dois être contente de tous les maux que tu m’as fait souffrir. Mais toi, cher animal qui me procures la liberté, et me sauves la vie, si tu me portes heureusement chez moi, et que tu me rendes à ma famille et à mon cher amant, quelles obligations ne t’aurai-je point ! quels honneurs ne recevras-tu point de moi ! et comment ne seras-tu point soigné et nourri !