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que les voleurs sont absens. Crains-tu cette misérable vieille qui te garde, qui ne vit plus qu’à demi, que tu peux même achever de faire mourir tout-à-fait d’un seul coup de pied, quand ce ne seroit que de ton pied boiteux. Mais où iras-tu ? qui voudra te donner retraite ? Voilà certainement, continuois-je en moi-même, une inquiétude bien ridicule et bien digne d’un âne ; car peut-il y avoir quelqu’un dans les chemins qui ne soit fort aise de trouver une monture, et qui ne l’emmène avec lui. Dans le moment, faisant un vigoureux effort, je romps le licou qui me tenoit attaché, et je m’enfuis à toutes jambes.


Je ne pus cependant éviter que cette fine vieille ne m’apperçût (41). Si-tôt qu’elle me vit détaché, elle accourut à moi avec une force et une hardiesse au-dessus de son sexe et de son âge, me prit par le bout de mon licou, et fit tout ses efforts pour me ramener : mais comme j’avois toujours dans l’esprit la cruelle résolution que les voleurs avoient prise contre moi, je fus impitoyable pour elle, et lui lançant quelques ruades, je l’étendis tout de son long par terre. Quoiqu’elle fût en cet état, elle tint bon, et ne lâcha point mon licou, de manière qu’en fuyant, je la traînai quelques pas après moi. Elle se mit à crier de toute sa force, et à appeller du secours ; mais elle avoit beau crier et se lamenter, il n’y avoit personne pour lui aider que cette jeune fille que les voleurs avoient