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vivez heureuse et tranquille dans l’ignorance de votre malheur, et du péril où vous êtes exposée ; mais nous qui veillons pour vos intérêts, nous sommes dans une peine effroyable de vous voir à deux doigts de votre perte ; et la part que nous prenons à ce qui vous regarde, fait que nous ne pouvons plus vous cacher ce que nous avons appris de votre sort. Nous savons très certainement qu’un serpent d’une grandeur prodigieuse vient tous les soirs la gueule dégoutante de sang et de venin, passer la nuit secrétement auprès de vous. Souvenez-vous de l’Oracle d’Apollon, qui répondit que vous étiez destinée à épouser un monstre cruel. Plusieurs paysans et quelques chasseurs des environs le virent hier au soir comme il venoit de ſe repaître, qui se baignoit sur le bord de la rivière qui est au pied de ce rocher ; et tout le monde assure que vous ne jouirez pas long-temps des plaisirs que vous goûtez ici, et que, lorsqu’étant prête d’accoucher, vous serez encore plus grasse et plus pleine que vous n’êtes, ce dragon ne manquera pas de vous dévorer. C’est donc à vous de voir si vous voulez croire vos sœurs, à qui votre vie est infiniment chère, et lequel vous aimez mieux, ou de vivre avec nous hors de danger, ou d’être ensevelie dans le ventre d’un monstre. Que, si malgré ce que nous vous disons, cette solitude où vous n’entendez que des voix, a des charmes pour vous ; si vous êtes touchée des