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de gain et de prospérité ; au contraire, quand on songe qu’on rit, qu’on mange quelques mets délicats et friands, ou qu’on goûte les plaisirs de l’amour, cela annonce de la tristesse, de la langueur, quelque perte ou quelque sujet d’affliction. Mais je veux tâcher tout présentement de vous distraire de votre douleur par quelques jolis contes du temps passé.

Il y avoit dans une certaine ville un Roi et une Reine (48), qui avoient trois filles, toutes trois fort belles. Quelques charmes que pussent avoir les deux aînées, il n’étoit pas impossible de leur donner des louanges proportionnées à leur mérite. Mais, pour la cadette, sa beauté étoit si rare et si merveilleuse, que toute l’éloquence humaine n’avoit point de termes pour l’exprimer et pour en parler assez dignement. Les peuples de ce pays-là, et quantité d’étrangers, que la réputation d’une si grande merveille y attiroit, restoient saisis d’étonnement et d’admiration, quand ils voyoient cette beauté, dont jamais aucune autre n’avoit approché, et l’adoroient religieusement, comme si s’eût été Vénus elle-même (49).

Le bruit couroit déjà par-tout chez les nations voisines, que la Déesse, à qui l’océan a donné la naissance, et qui a été élevée dans ses flots, étoit descendue des cieux, et se faisoit voir sur la terre,