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quelque temps en moi-même fort sérieusement (28), si je ne devois point, à coups de pieds et avec les dents, me venger de l’imprudence, ou peut-être de la méchanceté de cette malheureuse femme. Mais une réflexion prudente m’ôta entièrement cette envie inconsidérée ; j’eus peur de me priver, par la mort de Fotis, des secours nécessaires pour reprendre ma forme naturelle.

Baissant donc la tête, et secouant les oreilles ; dissimulant le ressentiment de l’outrage que j’étois forcé de souffrir pour un temps, et cédant à la dure nécessité de l’état où j’étois, je m’en vais à l’écurie auprès de mon cheval, et d’un âne qui appartenoit à Milon. Je m’imaginois que, s’il y avoit un instinct secret et naturel parmi les animaux, mon cheval me reconnoîtroit, et qu’ayant compassion de moi, il m’alloit bien recevoir et me donner la meilleure place et la plus nette. Mais, ô Jupiter, dieu de l’hospitalité, et vous dieux protecteurs de la bonne foi (29), ce brave cheval qui étoit à moi, et cet âne approchent leurs têtes l’une de l’autre, et sur le champ conviennent ensemble de ma perte ; si bien que craignans pour leur mangeaille, à peine virent-ils que je m’approchois du ratelier, que baissant les oreilles, et tous furieux, ils me poursuivent à grands coups de pieds et me chassent bien loin de l’orge que j’avois mise moi-même ce soir-là devant cet animal si reconnoissant.