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laisser à la maison. Piotre Ivanovitch, qui depuis deux années m’a bravée et n’a pas mis les pieds ici, est venu cette année ; il continue à me braver et me parle à peine. Je n’y fais aucune attention, mais seulement, deux fois par jour, quand il embrasse longuement ma main, je me détourne et tâche d’embrasser l’air au lieu de son front, car il s’exhale toujours de sa personne une odeur de bottes cirées au goudron. Imaginez que maintenant on a inventé un nouveau parfum « cuir de Russie », et Piotre Ivanovitch, exprès pour me déplaire, s’arrose de ce parfum. Je suis une très grande patriote, je ne parle et n’écris que le russe, je puis même consentir à aimer « la fumée de la patrie », mais je ne puis supporter sa puanteur.

Expliquez-moi, chère Comtesse, pourquoi la belle-mère est tenue pour une créature détestable que tous doivent haïr. Cependant, dans les autres familles, la belle-mère compte comme une personne, mais pour mes gendres, je ne suis pas quelqu’un, mais une dinde pleine d’argent. Comme vous savez, il y a des dindes truffées, et vraiment, il me semble, parfois, qu’ils sont autour de moi avec des fourchettes et me piquent de tous côtés pour prendre les plus grosses truffes ; et tous sont