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drogue encore plus énergique. Elle fit d’abord quelque effet et, grâce à elle, je puis continuer mon journal, ce que je ne pouvais faire, ces jours derniers, à cause d’une grande faiblesse. Ce journal est la seule joie de ma vie : tout le reste m’est défendu ; heureusement que Féodor Féodorovitch ne sait pas que j’écris : sinon il ne manquerait pas de s’y opposer. En effet, il m’a tout défendu : je ne puis ni boire, ni manger, ni fumer, ni lire, ni recevoir d’amis ; le nouveau médecin me disait même avec tristesse : « Tâchez de moins penser » ; mais c’est assez difficile quand on ne dort pas.

Grâce à une protection spéciale du docteur, Maria Pétrovna a ses entrées chez moi. Hélas ! hier, elle m’a vu en robe de chambre, et elle s’est souvenue, sans doute, d’Ossip Vassiliévitch d’impérissable mémoire !

C’est étrange comme la question de la mort m’a intéressé depuis ma plus tendre enfance. Alors déjà, la pensée seule de la mort m’effrayait, la mort d’une personne que je connaissais un peu me privait pendant plusieurs jours d’appétit et de sommeil. De longues années se passèrent avant que je pusse m’habituer à cette idée, pourtant très répandue : que tous les hommes mourront, méchants et bons,