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même. J’ai fourni hier une vérification de cet aphorisme, en consignant dans mon journal que j’étais amoureux de Lydia. Tant que ce sentiment n’existe que dans la conscience, on peut lutter contre lui, mais une fois qu’il est formulé clairement, exprimé par des paroles ou écrit sur le papier, la lutte devient impossible ; cela équivaut à reconnaître par acte notarié sa toute-puissance. Déjà l’on ne se possède plus soi-même, on agit sous l’influence des forces sombres, inconnues. Aujourd’hui, par exemple, j’avais décidé très fermement de ne pas aller chez Maria Pétrovna, et j’ai dîné au club. Ce club que j’aimais tant autrefois m’a semblé un désert : toujours les mêmes personnes, toujours les mêmes conversations, toujours les mêmes menus. Autrefois cette monotonie traditionnelle me plaisait ; aujourd’hui, elle m’ennuie affreusement. Après le dîner, au billard, j’ai vu le vieux Troutniev qui jouait avec le marqueur. Autrefois je ne faisais guère attention à ce Troutniev ; je suis content de le voir à présent, car Troutniev est parent des Zebkine et va souvent chez eux ; aussi je pus, en causant avec lui, parler de Lydia Lvovna.

Comme je causais avec Troutniev un peu surpris de mon extrême amabilité, à la porte