Page:Apoukhtine - La Vie ambiguë.djvu/234

Cette page a été validée par deux contributeurs.

rire, qu’il me fut impossible de prononcer un mot. Soudain une lueur sinistre éclaira les ténèbres où se débattait ma pensée : Hélène Pavlovna avait empoisonné Aliocha. Au moment même, elle prononça en français une phrase dont le sens était qu’aucun acte ne fait hésiter la femme qui aime, tandis que l’homme (je me rappelle qu’elle disait : vous autres) ne pense pas même à apprécier son sacrifice.

Si aujourd’hui Hélène Pavlovna avait à répondre en justice de l’empoisonnement de son mari et que je fusse du jury, en conscience je ne pourrais la déclarer coupable ; mais, dans ce jour terrible, la phrase qu’elle prononçait coïncidait si bien avec ma pensée qu’il ne me resta pas l’ombre d’un doute. Je voulais me jeter sur elle, lui arracher l’aveu : je voulais courir et demander l’exhumation et l’autopsie du corps d’Aliocha ; mais je n’en fis rien, je ne songeai qu’à moi, et, prétextant un mal de tête, je quittai Hélène Pavlovna en lui promettant de revenir le lendemain matin. Il me semble qu’en lui disant adieu je la baisai au front.

Le lendemain matin, au lever du soleil, je me rendais à Vassilievka. J’arrangeai en hâte mes affaires et partis pour l’étranger.