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dans le monde, et ces relations dans lesquelles on se traite d’amis ne nécessitent ni l’estime, ni l’affection. En français, il n’y a qu’un mot pour désigner les vrais amis et les autres ; en russe, il y a deux mots : drouzia et priateli. La nuance a une grande importance : les priateli sont des hommes qui croient de leur devoir de fouiller dans votre âme et dans votre vie, qui, chaque fois qu’ils vous rencontrent, expriment une grande joie, et sont très peu attristés s’il vous arrive une peine. J’ai remarqué que les relations des priateli naissent beaucoup plus souvent de vices communs que de vertus communes ; les vertus ou les talents communs excitent la rivalité, c’est-à-dire l’envie. L’homme qui se reconnaît un vice est très heureux de le rencontrer chez d’autres hommes, et il est porté à le trouver charmant pour se justifier soi-même.

L’hostilité entre les hommes naît parfois du choc des intérêts communs : c’est l’hostilité naturelle, celle de deux chiens pour un os jeté entre eux. Mais souvent les causes de l’hostilité sont aussi légères et aussi accidentelles que celles de l’amitié. Dans une maison amie, vous rencontrez pour la première fois monsieur N. N., et vous dites devant lui que la cantatrice Solfegio chante faux. Si N. N. se