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inondé d’une sueur froide et le cœur battant. Il m’était impossible de me rendormir, et, pendant plusieurs jours, je restais étrangement nerveux. Maintenant je suis convaincu que cette fillette a existé, que je l’ai connue jadis ; mais qui était-elle ? Ma fille, ma sœur ou une étrangère, et pourquoi ses yeux navrés d’une souffrance surhumaine ? Quel bourreau avait torturé cette enfant ? Moi peut-être, et cela eût expliqué pourquoi son apparition, dans mes rêves, revêtait le caractère d’une punition. Chose étrange, de tous mes souvenirs, aucun n’était gai, mes yeux spirituels ne voyaient que des pages de douleur et de cruauté. Il y a eu sans doute dans mes existences des jours joyeux, mais en très petit nombre, faut-il croire, puisqu’ils ont disparu, enfouis dans un océan de souffrances, et si c’est ainsi, pourquoi ? On ne peut admettre que la vie soit faite pour la seule souffrance ; elle doit avoir quelque autre but ; mais le connaîtrai-je jamais ? Au prix de cette ignorance, mon état actuel, c’est-à-dire l’immobilité et la tranquillité absolue, devrait me sembler le bonheur, et pourtant, dans tout ce chaos de souvenirs indécis, de pensées éparses, je sentis s’affirmer en moi un sentiment étrange et qui