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que leurs sensations leur restent obscures : toujours ils désirent ou appréhendent, et ils prennent leur peur ou leur espoir pour le pressentiment.

Sans doute, je ne pouvais discerner avec précision le jour et l’heure de ma mort, mais je les savais approximativement. J’ai eu toute ma vie une santé florissante, et tout à coup, au commencement de novembre, sans aucune cause, j’ai commencé à être indisposé ; je n’avais encore aucune maladie, mais je me suis senti appelé à la mort aussi clairement que je me suis senti parfois appelé au sommeil.

D’habitude, au commencement de l’hiver, ma femme et moi faisions nos plans pour l’été ; cette année, je ne pouvais rien combiner ; le tableau de l’été ne se dessinait pas ; d’une manière générale, il me semblait qu’il n’y aurait pas d’été. La maladie cependant ne se précisait pas. Comme une hôtesse cérémonieuse, il lui fallait quelque occasion ; mais bientôt les occasions abondèrent. À la fin de décembre, je devais partir pour la chasse à l’ours : le temps était très froid, et ma femme, qui, sans nulle raison, commençait à s’inquiéter de ma santé (c’était sans doute, pour elle aussi, le pressentiment), me supplia de n’y pas aller. J’étais un chasseur passionné,