Page:Apoukhtine - La Vie ambiguë.djvu/158

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sions d’un homme enseveli vivant. Je m’efforçais de reconstruire cette nouvelle dans ma mémoire ; mais je ne pouvais me rappeler le principal : comment le héros s’y était pris pour sortir du cercueil.

La pendule de la salle à manger sonna. Je comptai onze coups. Vasutka, la petite bonne, entra, annonçant que le prêtre était arrivé, et que dans le salon tout était prêt. On apporta une grande bassine d’eau ; on me déshabilla et l’on se mit à me frotter avec une éponge mouillée, dont je ne sentais pas le contact : il me semblait qu’on lavait la poitrine et les pieds d’un autre. « Évidemment, pensais-je, tandis qu’on m’habillait de linge propre, ce n’est pas une léthargie, mais qu’est-ce donc ? » Le docteur a dit : « Tout est fini ! » On pleure sur moi ; dans un instant, on va me mettre au cercueil ; dans deux jours on m’ensevelira ; mon corps, qui, tant d’années, m’a obéi, n’est plus mien ; sûrement je suis mort ; et cependant je continue à voir, à entendre, à comprendre. La vie persiste peut-être quelque temps dans le cerveau ; mais, en somme, le cerveau lui aussi, fait partie du corps. Ce corps est un logement que j’ai habité bien des années et que j’ai enfin résolu de quitter : portes et fenêtres sont larges ouvertes,