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À SA MARRAINE

L’approche de l’hiver me fait souffrir et me rend soucieux.

« Les beautez » deviennent rares à Paris, ou du moins c’est mon avis. Je crois qu’elles ont émigré en pays neutre, il y en a même qui sont demeurées dans les pays envahis.

Mais Saint-Sébastien, la « season » romaine (une nouveauté dans le monde !) en retiennent un grand nombre. Jamais les femmes n’ont autant voyagé.

Toutefois il y a encore des femmes en France, témoin cette histoire qui vous fera rire, ma chère petite marraine, aux dépens de vos commères : un sous-lieutenant blessé, soigné dans mon hôpital, avait fait paraître dans la Vie Parisienne une annonce où il demandait une marraine. En trois jours il reçut 229 lettres. J’aurais voulu les lire toutes mais le sot les brûla aussitôt et je les lui demandai trop tard.

J’en lus une seule, assez drôle ma foi ! Quant à celles qu’il distingua, elles défilèrent à l’hôpital et je n’ai jamais vu un défilé aussi extraordinaire de femmes laides.

La guerre se traîne comme je fais et tout cela est triste. Vous dans votre jolie ville vous jouissez