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À SA MARRAINE

ment le nom d’ouvrages ennemis ou nôtres baptisés d’après leur forme : le trapèze, le trident, le poignard, etc, et j’aime cette nouveauté de mon esprit. Pour ce qui est de la poésie libre dans « Alcools » il ne peut y avoir aujourd’hui de lyrisme authentique sans la liberté complète du poète et même s’il écrit en vers réguliers c’est sa liberté qui le convie à ce jeu ; hors de cette liberté il ne saurait plus y avoir de poésie. Si vous ne reconnaissez pas cette vérité essentielle votre esprit étouffé dans les limites d’une convention qui n’a plus de raison d’être ne pourra se développer. En effet on imaginerait difficilement une nouvelle manière de faire l’amour ou de manger, parce que ce sont là des choses naturelles et qu’essentiellement la seconde se fait par la bouche mais la versification, la langue française elle-même sont conventionnelles au point qu’on peut écrire en prose et s’exprimer en lapon, voire en espéranto. Ces conventions sont essentiellement caduques, car l’homme et l’artiste en particulier a besoin de naître et ici cela s’appelle renaître ou bien revenir aux principes. C’est cela qui est essentiel. Le moment de revenir aux principes du langage n’est pas encore venu, mais il viendra, et à ce moment