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L’AMI MÉRITARTE

tête de veau dont la bouffonnerie nous plut au point que nous ne laissâmes que le persil dont on l’avait parée. Un gigot bien saignant ne fût pas moins goûté, l’ail qui le parfumait et les haricots de Soissons sur lesquels il reposait mollement nous ayant paru des ressorts éminemment comiques. Bref, nous rîmes comme des bossus, et le petit vin blanc que nous versait Méritarte favorisait notre gaîté.

Mais l’ami Méritarte voulait élever son art jusqu’au lyrisme. Il nous servit, un soir, un potage aux vermicelles, des œufs à la coque, une salade de laitue aux fleurs de capucines et du fromage à la crème. Nous déclarâmes que c’était là de la poésie sentimentale et, dépité, l’ami Méritarte affirma qu’il s’élèverait jusqu’au ton de l’ode. Il est vrai qu’un mois plus tard il nous servait un cassoulet par lequel son art atteignait enfin au sublime. Il s’essaya même à l’épopée, avec une bouillabaisse dont la saveur méditerranéenne nous rappela sur-le-champ les poèmes d’Homère.

Mais que devînmes-nous lorsque l’ami Méritarte nous annonça qu’il se livrait désormais à la philo-