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SAINTE ADORATA

compagne était partie le matin de très bonne heure.

« Je ne vous donne point le détail des heures affreuses passées auprès du corps, que j’avais enfermé dans une malle. Bref, je fus si habile que l’opération de l’embaumement passa inaperçue. Le va-et-vient, le nombre important des voyageurs dans un grand hôtel leur laisse une liberté relative, une impersonnalité qui me furent très utiles dans la circonstance.

« Ensuite ce fut le voyage et les difficultés suscitées par la douane, que je pus, grâce au Ciel, franchir sans encombre. C’est une histoire miraculeuse, monsieur !… Et quand je fus de retour chez moi, j’étais devenu maigre, pâle, méconnaissable.

« En passant à Vienne, j’avais acheté, chez un antiquaire, un sarcophage de pierre qui provenait de je ne sais plus quelle collection célèbre. Chez moi, on me laissait faire ce que je voulais, sans s’inquiéter de mes desseins, et personne ne s’étonna ni du poids, ni de la quantité des bagages que j’avais rapportés d’Italie.

« Je gravai moi-même l’inscription ADORATA et une croix sur le sarcophage où j’enfermai, entouré de bandelettes, le corps de l’adorée…

« Une nuit, par un effort insensé, je transportai mon amour dans un champ voisin, de façon à re-