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LA FIANCÉE POSTHUME

et puis, hélas, monsieur, elle mourut à l’âge de cinq ans.

« Je la vois encore sur son petit lit, morte et belle comme une petite martyre. Je revois le petit cercueil. Et on nous l’enleva, monsieur, et nous avons perdu toute joie, tout notre bonheur, que nous ne retrouverons qu’au ciel où notre Théodorine continue à vivre.

« Du jour de sa mort, nos âmes se sont senties vieilles et nous n’avons plus rien aimé de la vie. Et pourtant nous ne voulons pas la perdre. Notre existence est devenue triste, mais elle est si calme qu’elle en est délicieuse.

« Les années ont passé, atténuant une douleur toujours présente et qui nous fait pleurer quand nous parlons de notre fille.

« Souvent nous parlions d’elle :

« — Elle aurait maintenant douze ans, ce serait l’année de sa première communion. »

« Et cette fois-là nous pleurâmes toute la journée sur sa tombe dans notre cimetière parfumé.

« — Elle aurait aujourd’hui quinze ans et serait déjà peut-être demandée en mariage. »