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LA FIANCÉE POSTHUME

Mme Muscade allumer une lampe. Elle avait des gestes lents ; sa silhouette paraissait une vision gracieuse et nonchalante. Il pensa : « Ne différons plus ». Et s’approchant d’elle, il lui dit :

« Quel joli nom, Mme Muscade. C’est presque un petit nom. Il vous sied ce nom à vous dont les cheveux sont un peu de soleil à l’orient. À vous qui êtes aromatique comme ces noix muscades les plus parfumées : celles qu’un pigeon a digérées et rendues intactes. Tout ce qui a bonne odeur a votre odeur. Et vous devez avoir la saveur de tout ce qui est délectable. Je vous aime, Madame Muscade ! »

Mme Muscade ne manifesta aucune émotion de courroux ni de gaieté, et après avoir jeté un coup d’œil par la fenêtre, quitta la chambre.

Le jeune homme demeura un instant tout interdit ; il eut ensuite envie de rire, puis alluma une cigarette et sortit.

Vers cinq heures, il revint et vit M. et Mme Muscade appuyés à la grille de la villa. Dès que ceux-ci l’aperçurent ils sortirent dans la rue qui était toujours déserte. Mme Muscade ferma la grille de la villa et vint se placer près de son mari qui parla :