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GIOVANNI MORONI

« Mais déjà un des amis de mon père arrachait le masque du dormeur. Alors, un cri d’horreur s’échappa de toutes les poitrines. La face d’un homme brun et beau était apparue, dont les orbites étaient tachées de sang. Mon père se précipita et ouvrit le costume de l’homme. Il portait deux blessures du côté du cœur. Le meurtre devait être récent, car le sang coulait encore et avait traversé la robe de mascarade. Mais on l’avait pris jusqu’alors pour des taches de vin ou d’autre boisson.

« Un papier avait été placé sur la poitrine de l’assassiné. Mon père prit le billet et le lut à haute voix :

« — Bice t’aimait pour tes yeux bleus. Je les ai vidés comme des coques de moules.

« Ma mère avait ouvert la fenêtre et appelait à la garde. La police vint bientôt avec les voisins. Mais on m’emporta et je ne sus pas plus long de cette affaire.

« À cette époque, j’avais sept ans. Mon père essayait de m’apprendre à épeler. Mais je ne goûtais pas ses leçons et préférais jouer à la mourre tout seul, ce qui est difficile, mais possible.