Page:Apollinaire - Le Poète assassiné, 1916.djvu/249

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
135
LE POÈTE ASSASSINÉ

« Qui es-tu ? »

Et la foule cria :

« Qui es-tu, qui es-tu ? »

Le poète se tourna vers l’orient et parla d’une voix exaltée :

« Je suis Croniamantal, le plus grand des poètes vivants. J’ai souvent vu Dieu face à face. J’ai supporté l’éclat divin que mes yeux humains tempéraient. J’ai vécu l’éternité. Mais les temps étant venus, je suis venu me dresser devant toi. »

Tograth accueillit d’un éclat de rire terrible ces dernières paroles. Les premiers rangs de la foule ayant vu rire Tograth rirent aussi, et le rire en éclats, en roulades, en trilles se communiqua bientôt à la populace tout entière, à Paponat et à Tristouse Ballerinette. Toutes les bouches ouvertes faisaient face à Croniamantal qui perdait contenance. On cria parmi les rires :

« À l’eau, le poète !… Au feu, Croniamantal !… Aux chiens, l’amant du laurier ! »

Un homme qui était au premier rang et avait un gros gourdin en appliqua un coup à Croniamantal, dont la grimace douloureuse fit redoubler les rires