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LE POÈTE ASSASSINÉ

tèrent. La plupart des gouvernements prirent d’ailleurs cette nuit même des décisions dont le texte affiché au fur et à mesure provoquait dans les rues un enthousiasme indescriptible. La France, l’Italie, l’Espagne et le Portugal décrétèrent les premières que les poètes établis sur leur territoire seraient emprisonnés au plus tôt, en attendant qu’on décidât de leur sort. Les poètes étrangers ou absents qui tenteraient de pénétrer dans ces pays risqueraient d’être condamnés à mort. On télégraphia que les États-Unis d’Amérique avaient décidé d’électrocuter tout homme dont la profession de poète serait notoire. On télégraphia aussi qu’en Allemagne il avait été décrété que les poètes en vers ou en prose établis sur le territoire de l’empire resteraient enfermés jusqu’à nouvel ordre dans leurs demeures. À la vérité, durant cette nuit et la journée qui suivit tous les États du globe, même ceux qui ne possédaient que de mauvais petits bardes sans lyrisme, prirent des mesures contre le nom même de poète. Seuls, deux pays firent exception, c’étaient l’Angleterre et la Russie. Ces lois improvisées furent mises aussitôt à exécution. Tous les poètes qui se trouvaient sur les territoires français, italien, espagnol et portugais furent emprisonnés le lendemain, tandis que quelques journaux littéraires paraissaient encadrés de