Page:Apollinaire - Le Poète assassiné, 1916.djvu/234

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
120
LE POÈTE ASSASSINÉ

que la mort est à la vie, ce que la main de gloire est à la clef.

« La vraie gloire a abandonné la poésie pour la science, la philosophie, l’acrobatie, la philanthropie, la sociologie, etc… Les poètes ne sont plus bons aujourd’hui qu’à toucher de l’argent qu’ils ne gagnent point puisqu’ils ne travaillent guère et que la plupart d’entre eux (sauf les chansonniers et quelques autres) n’ont aucun talent et par conséquent aucune excuse. Pour ceux qui ont quelque don, ils sont encore plus nuisibles, car s’ils ne touchent rien, ni à rien, ils font chacun plus de bruit qu’un régiment et nous rabattent les oreilles de ce qu’ils sont maudits. Tous ces gens-là n’ont plus de raison d’être. Les prix qu’on leur décerne sont volés aux travailleurs, aux inventeurs, aux savants, aux philosophes, aux acrobates, aux philanthropes, aux sociologues, etc. Il faut que les poètes disparaissent. Lycurgue les avait bannis de la République, il faut les bannir de la terre. Sans quoi les poètes, paresseux fieffés, seront nos princes et, sans rien faire, vivront de notre travail, nous opprimeront, se moqueront de nous. En un mot, il faut se débarrasser au plus vite de la tyrannie poétique.

« Si les républiques et les rois, si les nations n’y prennent garde, la race des poètes, trop pri-