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LE POÈTE ASSASSINÉ

l’habitent sont tous des gens comme il faut. Nous avons d’anciens archiducs et même d’anciens architectes, des soldats, des savants, des poètes, des inventeurs, quelques moines venus de France après l’expulsion des congrégations et quelques hôtes laïcs de bonnes manières. Tous sont des saints. Moi-même, tel que vous me voyez, avec mes lorgnons et mon gros ventre, je suis un saint. Je vais vous indiquer votre chambre, vous y resterez jusqu’à neuf heures ; alors vous entendrez la cloche du repas sonner et je viendrai vous chercher. »

Le père Karel guida Croniamantal à travers de longs corridors. Puis ils montèrent un escalier de marbre blanc et, au deuxième étage, le père Karel ouvrit une porte en disant :

« Votre chambre. »

Il lui montra le bouton de l’électricité et sortit.

La chambre était ronde, le lit et les meubles étaient ronds ; sur la cheminée, une tête de mort ressemblait à un vieux fromage.

Croniamantal se mit à la fenêtre, sous laquelle s’étendait l’obscurité touffue d’un grand jardin monacal d’où semblaient monter des rires, des soupirs, des cris de joie, comme si mille couples