Page:Apollinaire - Le Poète assassiné, 1916.djvu/212

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
98
LE POÈTE ASSASSINÉ

Il répondit courtoisement :

— C’est que ma statue est de bronze. Elle m’expose constamment à des méprises. Ainsi, l’autre jour,

Passant auprès de moi le nègre Sam Mac Vea
Voyant que j’ai plus noir que lui s’affligea

Voyez comme ces vers sont adroits. Je suis en train de perfectionner la rime. Avez-vous remarqué comme le distique que je vous ai déclamé rime bien pour l’œil.

— En effet, dit Croniamantal, car on prononce Sam Mac Vi, comme on dit Shekspire.

— Voici quelque chose qui fera mieux votre affaire, continua la statue :

Passant auprès de moi le nègre Sam Mac Vea
Sur le socle aussitôt ces trois noms écrivit

Il y a là un raffinement qui doit vous séduire, c’est la rime riche pour l’oreille.

— Vous m’éclairez sur la rime, dit Croniamantal. Et je suis bien heureux, cher maître, de vous avoir rencontré en passant.

— C’est mon premier succès, répondit le poète métallique. Toutefois je viens de composer un petit poème portant le même titre : c’est un mon-