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LE POÈTE ASSASSINÉ

Turc sans compter l’Hébreu et les autres langues mortes. Son langage était clair comme ses yeux bleus. Il avait vite eu pour amis quelques humanistes d’Aix qu’il allait visiter parfois et il correspondait avec beaucoup de savants étrangers.

Dès que Croniamantal eut six ans, M. Janssen l’emmena souvent dans la campagne le matin. Croniamantal aimait ces leçons dans les sentiers des collines boisées. M. Janssen s’arrêtait parfois et montrant à Croniamantal des oiseaux voletant l’un près de l’autre ou des papillons se poursuivant et s’ébattant ensemble sur un églantier, il disait que l’amour guide toute la nature. Ils sortaient aussi le soir par le clair de lune et le maître expliquait à l’élève les destins secrets des astres, leur cours régulier et leurs effets sur les hommes.

Croniamantal n’oublia jamais qu’un soir lunaire de mai, son maître l’avait mené dans un champ à la lisière d’une forêt ; l’herbe ruisselait de lumière laiteuse. Autour d’eux les lucioles palpitaient ; leurs lueurs phosphorescentes et vagabondes donnaient au site un aspect étrange. Le maître attira l’attention du disciple sur la douceur de cette nuit de mai :

« Apprenez », disait-il, car il ne le tutoyait plus, parce que l’enfant avait grandi ; « apprenez tout de la nature et aimez-la. Qu’elle soit votre