Page:Apollinaire - Le Poète assassiné, 1916.djvu/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
29
LE POÈTE ASSASSINÉ

lâcher sa chope, en versa le contenu sur le ventre d’une fille qui avait roulé près de lui, et la bière moussant sous elle ressemblait à ce qu’elle fit sitôt debout, en avalant un litre d’un seul trait afin de se remettre de son émotion.

Mais le gérant du jardin criait :

« Donnerkeil ! sacrés cochons… un banc de cassé. »

Et il se précipita sa serviette sous le bras en appelant les garçons :

— Franz ! Jacob ! Ludwig ! Martin ! pendant que les consommateurs appelaient le gérant :

— Ober ! Ober !

Cependant, l’Oberkellner et les garçons ne revenaient pas. Les buveurs se pressaient aux comptoirs où l’on prend sa chope soi-même, mais les tonneaux ne se vidaient plus, on n’entendait plus de minute en minute les coups sonores annonçant la mise en perce d’un nouveau fût. Les chants s’étaient arrêtés, des buveurs en colère proféraient des injures contre les brasseurs et contre la bière de mars même. D’autres profitaient de l’entr’acte et vomissaient avec de violents efforts, les yeux hors de la tête ; leurs voisins les encourageaient avec un