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Canouris, le peintre aux mains bleu céleste, tirait les cartes à deux jeunes Roumaines, élèves assidus d’une Académie de croquis du quartier. Moïse Deléchelle est un homme couleur de cendre dont le corps, en toutes ses parties, est musical. Il se tape sur le ventre pour imiter les sons profonds du violoncelle ; de ses pieds il tire les résonnances rauques de la crécelle ; la peau tendue de ses joues est un cymbalon aussi sonore que ceux des tziganes de restaurant et ses dents, sur lesquelles il frappe au moyen d’un porte-plume, rendent les sons cristallins des orchestres de bouteilles dont jouent certains artistes de music-hall, ou qui font le chic de certaines grandes orgues mécaniques dans les carrousels des foires.

Elvire et Nicolas s’assirent à leur table et Moïse Deléchelle brouilla les cartes. Au bout de quelques instants, les Roumaines s’en allèrent à leur Académie et, avant qu’elles se fussent éloignées, leur place fut prise par Anatole de Saintariste, poète et officier, blessé au bras et qui,