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ou bien le miraculeux tableau des Races mobilisées de tous les coins de l’univers sur notre Front, ou encore le triste cheminement à travers les tranchées ?

Il faut bien cependant se souvenir de cette guerre invétérée. Il n’y a pas moyen de s’en défendre. Chaque fois que je crois avoir échappé à cette hantise, elle me reprend avec une douceur toujours croissante. Je me souviens avant tout de l’instabilité de la vie du soldat. Il est un jour ici ; la nuit peut-être partira-t-il en toute hâte. Cette incertitude est surtout le lot du fantassin. J’ai connu la vie de l’artilleur et celle du fantassin ensuite. L’instabilité de la seconde est plus surprenante. J’ai entendu appeler le fantassin, le Méfiant. Les plus courageux même se méfient, car le moins qu’on puisse leur demander, c’est le sacrifice de la vie. Mais j’ai gardé la nostalgie de cette vie vagabonde et bien réglée. Je me souviens des villages parcourus au pas cadencé et de trois filles sur la porte d’une ferme, au toit défoncé, transformée en épicerie.