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Je sortis, dans l’intention de me promener tant qu’il ferait jour et de dîner ensuite dans une auberge bohémienne. Selon ma coutume, je me renseignai auprès d’un passant. Il se trouva que celui-ci reconnut aussi mon accent et me répondit en français :

— Je suis étranger comme vous, mais je connais assez Prague et ses beautés pour vous inviter à m’accompagner à travers la ville.

Je regardai l’homme. Il me parut sexagénaire, mais encore vert. Son vêtement apparent se composait d’un long manteau marron au col de loutre, d’un pantalon de drap noir assez étroit pour mouler un mollet qu’on devinait très musclé. Il était coiffé d’un large chapeau de feutre noir, comme en portent souvent les professeurs allemands. Son front était entouré d’une bandelette de soie noire. Ses chaussures de cuir mou, sans talons, étouffaient le bruit de ses pas égaux et lents comme ceux de quelqu’un qui, ayant un long chemin à parcourir, ne veut pas être fatigué en arrivant au but. Nous allions sans parler. Je détaillai le profil de mon compagnon. Le visage disparaissait presque dans la masse de la barbe, des