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qui nous égare, qui nous transporte au plus haut point du bonheur où puisse arriver l’homme, ne s’allumera jamais que par deux causes, ou qu’en apercevant réellement ou fictivement dans l’objet qui nous sert l’espèce de beauté qui nous flatte le plus, ou qu’en voyant éprouver à cet objet la plus forte sensation possible. Or, il n’est aucune sorte de sensation qui soit plus vive que celle de la douleur ; ses impressions sont sûres, elles ne trompent point comme celles du plaisir, perpétuellement jouées par les femmes et presque jamais ressenties par elles. Celui qui fera donc naître chez une femme l’impression la plus tumultueuse, celui qui bouleversera le mieux l’organisation de cette femme, aura décidément réussi à se procurer la plus grande dose de volupté possible. — L’homme qui émettait de pareils aphorismes n’avait pas volé le cabanon que Napoléon lui octroya, mais il possédait, du moins, le mérite d’être clair. C’était si bien compris, lors de la grande vogue de son roman, que l’on craignit de voir ces stupides doctrines faire école, et que Rétif de la Bretonne écrivit une Antijustine qui ne le cédait presque en rien à Justine elle-même en tableaux lascifs, simplement « pour éloigner de la cruauté, de la soif du sang, et de la mort de la femme possédée ». — Grand merci ! nous n’en sommes plus là, le besoin ne se fait plus sentir aujourd’hui de prouver qu’on peut aimer les femmes, sans pour cela prendre nécessairement plaisir à les écorcher vives, à les pendre et à les décapiter. »


Le Dr  Cabanes a fait justice de la folie du marquis de Sade, laquelle n’exista jamais, et on étudie maintenant cet homme et ses idées avec attention. Le Dr  Duehren l’appelle : « Un des hommes les plus remarquables du xviiie siècle, disons même de l’humanité en général. » Le marquis de Sade, qui mourut à 75 ans, en avait passé 27, dont 14 de son âge mûr, dans onze prisons différentes et tout cela, non point comme il paraît démontré, pour des atrocités, mais, avant tout, pour ses idées et ses écrits qu’il ne voulait point réformer. On pense qu’il subit surtout l’influence des idées émises par l’anglais Mandeville, dans sa fable des Abeilles. Il lisait aussi avec plaisir les romans anglais comme Le Moine de Lewis et les productions d’Anne Radcliffe. On a dit que Nietzsche goûtait la lecture des ouvrages du marquis.

On a signalé récemment, entre autres nouveautés, le rôle que