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Apollinaire - L’enchanteur pourrissant, p85
Apollinaire - L’enchanteur pourrissant, p85

Les charbons du ciel étaient si proches que je craignais leur ardeur. Ils étaient sur le point de me brûler. Mais j’avais la conscience des éternités différentes de l’homme et de la femme. Deux animaux dissemblables s’accouplaient et les rosiers provignaient des treilles qu’alourdissaient des grappes de lune. De la gorge du singe, il sortit des flammes qui fleurdelisèrent le monde. Dans les myrtaies, une hermine blanchissait. Nous lui demandâmes la raison du faux hiver. J’avalai des troupeaux basanés. Orkenise parut à l’horizon. Nous nous dirigeâmes vers cette ville en regrettant les vallons, où les pommiers chantaient, sifflaient et rugissaient. Mais le chant des champs labourés était merveilleux :

Par les portes d’Orkenise
Veut entrer un charretier.
Par les portes d’Orkenise
Veut sortir un va-nu-pieds.

Et les gardes de la ville
Courant sus au va-nu-pieds :
« Qu’emportes-tu de la ville ? »
« J’y laisse mon cœur entier. »

Et les gardes de la ville
Courant sus au charretier
« Qu’apportes-tu dans la ville ? »
« Mon cœur pour me marier. »

Que de cœurs dans Orkenise !
Les gardes riaient, riaient.
Va-nu-pieds la route est grise.
L’amour grise, ô charretier.

Les beaux gardes de la ville,
Tricotaient superbement ;
Puis, les portes de la ville.
Se fermèrent lentement.

E vij