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On entendit alors des cris lamentables. Les sorcières, démons femelles, enchanteresses et magiciennes se plaignaient.

LE CHŒUR FÉMININ

Il y a dans la forêt profonde et obscure, une odeur vivante, une odeur de femme. Les mâles sont en rut parce qu’une irréalité a pris la forme de la réalité. Et Angélique est vivante faussement dans la forêt profonde et obscure.

LE CHŒUR MASCULIN

Est-ce si rare et si étrange ? Les irréalités deviennent raisonnables parfois et regardent alors ce qui est beau, de là leur forme. En ce siècle, quelle forme est plus belle que celle d’Angélique ? Irréalité raisonnable, nous t’aimons, nous t’aimons parce que tu cherches comme nous, ce qu’il y a de plus beau dans le siècle : le cadavre de l’enchanteur. Mais notre raison est vaine, car Jamais plus nous ne pourrons le regarder, puisqu’il est enseveli. Irréalité raisonnable nous t’aimerons pour pouvoir ensuite être tristes jusqu’à la mort, car nous sommes raisonnables maintenant aussi mais trop tard, puisque nous ne verrons pas, parce qu’il est enseveli, le beau cadavre, le très beau, et qu’en vérité tout notre amour te laissera stérile en notre raison informe quoique nous t’aimions.

ANGÉLIQUE

À la vérité, je suis vivante et amante heureuse, plus heureuse que celle dont les frères stellaires, les Dioscures, scintillent. Je suis vivante, vivante. Je naquis en Orient, mécréante et maudite et faussement vivante, tandis que maintenant je vis et je vous maudis, irréalités, car depuis j’ai été baptisée comme le fut l’enchanteur lui-même.

LE DOUBLE CHŒUR

La Chinoise a crié son vrai cri. Ce n’est pourtant pas le cri de l’innocence, c’est un pauvre aveu. Voyez comme elle s’agenouille. De honte, elle cache son front dans ses mains. Aucune raison formelle ne fut plus douloureuse. Sa honte est le signe de sa méchanceté. Le beau cadavre de l’enchanteur serait-il honteux aussi pour être enseveli et caché à nos regards. Hélas ! Hélas ! le beau cadavre pue peut-être.

LE CHŒUR FÉMININ

La vivante n’est pas virginale. Ayons pitié d’elle.

ANGÉLIQUE

Je vous maudis. Je ne suis pas vierge, mais reine, amante et bien nommée. Je serai sauvée.