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GASTON CAMUS

établir la justesse de notre opinion personnelle, pour trouver la phrase persuasive, l’argument décisif. Ce fut en vain, et la nuit nous sépara dans le plus parfait désaccord.

Je rentrai chez moi dans un tel état de surexcitation que mon esprit, obsédé par ce débat fougueux, continua, sans que j’eusse pu l’en détourner, la discussion qui avait mis en contact, dans un grand fracas de formules oratoires, nos passions de philosophes en herbe, convaincus et irréductibles.

Et lorsque, exténué, je me sentis gagner par un sommeil irrésistible, mon cerveau s’était transformé en un champ de bataille où les idées les plus étranges, les plus extravagantes, les plus fantastiques s’entrechoquaient dans un désordre effroyable qui donna vie à un rêve extraordinaire dont j’ai gardé le souvenir très précis.

Par suite de quel phénomène me suis-je vu tout à coup, tel Phryxus chevauchant le bélier à la toison colchidienne, voyageant au milieu des nuées, campé sur le dos d’un monstre, espèce de dragon aux ailes puissantes ? Je ne puis l’expliquer que par ce travail inconscient de l’esprit nocturne rapprochant, amalgamant, en une forme presque toujours chimérique, certains faits raisonnables l’ayant, durant le jour, frappé ou préoccupé avec intensité. Or, la discussion entre Jud et moi avait pris fin et atteint son summum de violence avec le verset de la Vision aux Sept Sceaux où apparaît le cheval de couleur pâle monté par la Mort et que l’Enfer suivait. Ce cheval pâle, par une association