les flancs. Bientôt l’eau recouvre la neige, il y en a partout ; les steppes paraissent bleues comme la mer et, à la surface, des paillettes de soleil pétillent comme des étincelles. D’où sont donc venus tous ces oiseaux ? Partout des vols d’oies sauvages, de grues et de cygnes ; ils se hâtent vers je ne sais où, comme une armée volante. Des alouettes tirelirent dans le ciel, des hirondelles volent çà et là, le cri du héron tinte dans un marais et, tout près, une bécasse fait entendre son sifflement continu. Tout vit, tout respire !
Plus tard, lorsque le sol s’est un peu séché, on se met à brûler les steppes : on va dans les champs, on bat son briquet, on met le feu à une poignée de paille, on souffle dessus et la jette par terre. Aussitôt les roseaux secs se mettent à pétiller, l’incendie se répand dans les steppes : le feu et la fumée courent au loin, battent la contrée comme des cosaques zaporogues. Et la nuit — que c’est beau, mon Dieu, de voir tout flamber comme ça ! Ce sont des bruits, des flammes tout autour, comme si une horde s’approchait, qui allumerait partout des incendies. C’est effrayant et amusant !…
Huit jours après, on ne reconnaît plus la steppe roussie : elle est devenue verte comme une émeraude. De ci, de là, on voit des anémones bleues, des boutons d’or. Dans les jardins fleurissent les hépatiques bleues. Les cerisiers, les bigarreautiers, les poiriers et les pommiers se couvrent de fleurs blanches et odorantes. On entend le coucou dès le matin et le loriot ne cesse pas de siffler toute la journée : « Laisse ton traîneau, prend ton chariot. » Tous les soirs le rossignol chante et sur la place les filles entonnent leurs chansons printanières[1], de sorte que l’écho en retentit au loin.
À cette époque, on respire si aisément, on ressent tant de bonheur.
En hiver on ne fait qu’attendre la Noël et la voilà qui arrive, puis le nouvel an, puis la fête des rois. « Amuse-toi, mon ami, même si tu n’as pas de countouche[2], même si tu as connu le malheur, » comme disaient les cosaques zaporogues. Oui, je le répète encore : « Décidément il n’y a pas au monde de plus beau pays que la province de Poltava ! » Quand je me la rappelle,
- ↑ Dans le genre de celles dont nous avons donné des spécimens plus haut, page 29.
- ↑ Vêtement de cosaque.