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cuisine qui lubrifiait à l’avance les lèvres. Ragoûtantes sous leurs robes rafraîchies, la blancheur lustrée des coiffes répercutée sur les visages en lumières mobiles et mates, les saintes filles se dirigèrent vers l’église, au brimbalement de la cloche revenue de Rome, frisque et babillarde. Chaque fois qu’elles se rencontraient, elles échangeaient entre elles des saluts souriants, dans une mutuelle abdication de toutes les petites rancunes qu’elles nourrissaient l’une contre l’autre en temps ordinaire, et des vœux, des témoignages de banale amitié volaient de bouche en bouche :

— Bonne fête de Pâques, ma sœur !

Sous le porche, un homme d’environ trente-cinq ans, robuste dans sa ragote taille, de grosses mains de tâcheron, un bon sourire sur sa face ronde rattachée au torse par un col sanguin, accueillait les béguines au fur et à mesure de leur entrée, par le souhait familier. Et toutes répondaient, en s’inclinant à demi :

— Pareillement, monsieur Martinus !

Mais ce n’était pas pour les saluer au passage que le carillonneur de la ville arpentait depuis un quart d’heure le parvis de l’église. Ses regards enfilaient inquiètement la venelle qui s’allongeait devant lui, avec ses deux rangées uniformes de maisons étroites et basses, toutes également capuchonnées de toits de tuiles et garnies aux fenêtres de petits rideaux blancs. Dans la perspective moutonnait un fouillis de silhouettes, les plus grosses ressemblant vaguement, sous leurs coules d’un tour ample, à de lourds bousiers cheminant au soleil ; et d’autres, plus sèches, arpentaient nerveusement le pavé caillouteux avec des enjambées de faucheux. À la fin une porte s’ouvrit dans la direction que n’avaient point cessé de prendre ses yeux, et il en vit sortir un clair béguin gentiment posé sur de saines joues rouges. Alors sa bouche bonace écarquilla un sourire plus large qui finit par s’immobiliser dans les plaques vermillonnées du visage. Petit à petit, le béguin se rapprochait, sortait de la pénombre embrumée de la ruelle, entrait dans la grande lumière tranquille de la place qui précède l’église, et les joues apparaissaient à présent, sous les blancs linges empesés, comme des fruits mûrissants, d’une sève chaude et vivace. Martinus fit un pas, tendit ses paumes dans lesquelles se posèrent deux mains grasses et potes et sa jovialité naturelle se fondant tout à coup sous une émotion de jeune tendresse, il lui susurra avec un grisollement dans la voix :