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de moi… Ainsi nous nous aimons et nous sommes fiancés. »

Marcelle avait baissé ses paupières. Tournant sur ses doigts, la touffe de rubans grenat noués au manche de son ombrelle :

— « Moi aussi, soupira-t-elle, je suis fiancée. Comme vous, je crois, je suis sûre qu’il pense à moi. C’est dans ce voyage que j’ai fait à Marseille, avec maman, l’an dernier. Je l’ai vu sur le pont d’un paquebot. Nous nous sommes longtemps regardés et j’ai senti qu’il était le seul que je pusse aimer. Toute la tristesse qu’il y avait dans sa pâleur sembla se dissiper à ma vue et ses yeux, en s’éloignant, restaient attachés aux miens. Quelqu’un cria : « Paul ». Du bout des doigts, il jeta dans l’air un baiser qu’il adressait à la terre, peut-être, mais que je pris pour moi seule. Hélas ! le reverrai-je !… »

D’expression moins exubérante que celle d’Henri, cette déploration frémissante dans les profondeurs endolories de cette âme exceptionnelle. Un silence s’interposa. Puis Marcelle rougissant, affermissant sa voix, qu’à chaque mot elle sentait défaillir, prononça :

— « C’est votre sœur d’enfance qui va… vous supplier, Henri. Nos parents mourraient de douleur, si nous refusions… »

— » C’est impossible, Marcelle. Nous ne pourrons nous donner ce que d’autres nous ont pris.

— » Nous marierons nos tristesses, proposa-t-elle. Nous nous aimerons comme nous pourrons dans la pensée des absents et dans la fidélité que nous leur garderons toujours.

— » Je ne l’oublierai jamais, s’écria-t-il.

Elle jura : « Toute ma vie lui appartient. »

Elle déganta sa main et la tendit avec une si rayonnante prière, qu’il laissa tomber la sienne et sanglotant le nom de Maria, il baisa le front de la jeune fille dont les lèvres murmurèrent, avec la ferveur d’une considération à l’éternelle souffrance : « Paul… à toi seul… toujours… »

Les cloches des lointaines églises sonnaient maintenant les carillons du magnificat et leurs volées triomphales qui sublimaient les airs de leurs alléluia, exaltaient cette candide ordination, ce renoncement téméraire qu’ils dédiaient à l’essence d’impérissables sentiments.

La solitude, dans laquelle ils cloîtrèrent hermétiquement leur existence, fortifia leur individuelle contemplation. La