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chaise, à côté de leurs chiens paresseusement étendus à terre, la langue pendante, ont étalé toutes sortes de marchandises sur des tréteaux, autour desquels tourbillonnent de grosses guêpes bourdonnantes.

Midi !…

Et tout à coup la cloche de l’église se prend à tinter de sa voix de fer, douze fois de suite, avec lenteur.

Alors, — comme par enchantement, — tout s’anime, tout s’agite ; et tandis que le temple vomit ses nombreux fidèles dans un miroitement de couleurs vives, les marchands, brusquement réveillés, les yeux gros encore de sommeil, s’égosillent, s’échauffent, harcelant, interpellant les badauds avec une volubilité factice de phrases apprises par cœur.

Plus loin, leurs silhouettes d’êtres affamés se détachant sur un paravent aux couleurs bariolées, un marchand de complaintes, long et maigre, accompagne sur un violon criard léchant d’une jeune fille, — chant traînard, enroué, plaintif.

Au pied de l’estrade, dans un ébahissement bête, les passants se poussent du coude pour écouter de plus près, les yeux écarquillés, les mains dans les poches, bouche bée, tandis que les campagnards endimanchés « lichent » goulûment de grandes pintes d’une bière grasse, attablés devant les cabarets dans une attitude dégingandée d’homme à l’aise.

Tout à coup, au milieu de l’enchevêtrement multicolore de cette foule bruyante, une voix de gamin s’éleva, mauvaise, criarde :

— « Ohé ! les planches !… »

Ce fut comme une traînée de poudre : partout on vit se dresser des têtes, cou tendu, cherchant à découvrir, avec un rire méchant sur les lèvres. Il y eut des chuchotements, des poussées de coude. Les hommes s’étaient hissés sur les tables, debout, verre en main, tandis qu’à leurs portes de grosses matrones étaient accourues pour voir, les manches fortement relevées et montrant la nudité velue et basanée de leurs gros bras.

Et la voix, — mauvaise et criarde, — clamait toujours :

— « Ohé ! les planches !… »

Alors les demoiselles Boivin, — les planches ! ! — apparu-