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LA FILLE DE BRASSERIE


Dans le bouge qu’emplit l’essaim insupportable
xxxxDes mouches bourdonnant dans un chaud rayon d’Août…
François Coppée.


Il y a cinq ans, — déjà cinq ans ! — qu’elle se morfond ici, à la brasserie « Gambrinus » dans le flux des éclats de rire gouailleurs, des paroles bruyantes, des jurons se noyant au fond des verres où une bière grasse, pâteuse, stagne sans reflets.

Lasse, les yeux morts, cernés, battus, au milieu d’un visage froidement beau, aux lignes correctes, la taille avachie, aux seins trop larges et s’affaissant dans une fatigue générale, elle glisse, inconsciente, avec un ennui de vivre dans tous ses mouvements, entre les bancs et les tables de bois, où la foule gueule…

Un ennui de vivre de cette vie sans but, de cette existence d’où les illusions, — si grandes autrefois ! — se sont évanouies, éclipsées à jamais, où le passé, — un passé qui n’est qu’un long regret, — miroite seul dans un ciel clair, serein, gros de bonheur, où l’avenir n’existe pas, parce qu’il n’est qu’une répétition fatale, uniformément la même de ce présent qui ne lui tient pas au cœur.

La vie bête, la vie sale !


De son enfance il ne lui reste qu’un souvenir vague, indécis, sans contours bien nets, et qui semble avoir passé sur elle comme un souffle léger et transparent : des baisers de mère, — de ces gros baisers bien sonnants, — les courses folles à travers champs, à travers bois, coiffée d’églantines blanches, — toutes blanches, — et vêtue de mousseline rose, — toute