Page:Antée, revue mensuelle de littérature, 1906-06.djvu/706

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
688
ANTÉE

des bouteilles, la belle dégringolade des monnaies et des estomacs ! — Qui leur fait signe ? Faim ou gourmandise, c’est un maître d’hôtel à la glorieuse barbe noire, précédé d’un chasseur très jeune, joli mignon, et flanqué d’un portier magnifique et monumental comme l’amiral Russof lui-même. Qui les fouette sinon la vanité ! C’est un triomphe que leur passage, parmi les mille lumières, sous les brûlants regards... Mais qui les mène sinon l’amour, qui nous mène tous ? L’homme court après la femme, et la femme chasse à l’homme... Ne dites pas que ce n’est qu’un chassé-croisé de bestialités. Où commence le “ cœur ”, où finit la “ bête ” ? Ces êtres vivent, aiment, cherchent, souffrent. Ne médites pas d’eux en les jugeant trop vite. Nous savons comme vous que d’aussi intenses, sinon davantage, d’aussi pathétiques passions — moins fiévreuses... — se manifestent ailleurs que dans le tourbillon de cette rue. Encore une fois, nous en reparlerons... pour autant que ça vous intéresse, invisible contradicteur, ô tenace ! Laissez vagabonder selon leur fantaisie nos petites réflexions du moment, qu’une sensation a éveillées... Je suis dans la rue, un soir clair d’hiver, où tout court et roule. Je pense à ceux qui courent, à ceux qui roulent. Ah ! laissez moi, que je coure et roule !