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ANTÉE

multiples. Il palpitera avec l’héroine, tantôt naufragée, tantôt jetée dans un sombre cachot, tantôt sacrifiée devant l’autel du dieu.

Mais nous-mêmes, qui voyons sans déplaisir un plancher de sapin, également foulé par les Indiens de ΓAfricaine (une Africaine d’Asie !) et par les mercenaires de la Carthage de Salammbô, nous-mêmes n’avons nous pas nos réserves d’indulgence devant le conventionnel ? Et ce conventionnel, par l’abandon des Unités, n’a-t-il pas été renforcé dans une mesure, qui surpasse les conquêtes savantes de la machinerie scénique ? Notre aveuglement n’a rien à envier à celui de nos ancêtres ; mais c’est l’usure de nos nerfs qui est surtout en déchet.

La sensibilité qu’éveille et qu’excite, jusqu’aux ultimes tensions, le drame du moyen âge, est, en effet, de qualité bien supérieure à la sensibilité du spectateur contemporain. Celui-ci n’apporte, au théâtre, qu’un appétit de plaisir très vulgaire et très court. Trois ou quatre heures du plus mélangé des spectacles triomphent de sa boulimie. Nos ancêtres y mettaient plus de noble avidité, comme ils y mettaient plus de façons. Un seul spectacle, et toujours le même, parlait à leur curiosité ; mais celle-ci pouvait veiller pendant quinze jours consécutifs, double miracle de la