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HEURES DES PETITES VILLES GRISES
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Un camail gris couvre leurs seins,
Maigres bourgeons mordus par la gelée,
Et sur leur âme sont croisées
Les pâles ailes de leurs mains.

Le vent creuse à leurs jupes lourdes
De grands trous noirs, comme en du bois ;
On dirait que leurs jambes gourdes,
En se mouvant, traînent un poids.
 
Et peu à peu sur le feu clair
Qu’étaient leurs âmes encor saines,
Lorsque le sang gonflait leurs veines,
On a jeté la cendre qui les perd ;

On a jeté du verre et de la terre
Dans leur vie et désormais
Il n’y a plus qu’un feu sourd et muet
Qui ronge, en s’étirant, leur âme austère.

Le long troupeau des orphelines,
Dont les mains froides aux longs doigts
Se cachent sous les capelines,
Suit le trottoir étroit.

L’heure sonne là-haut. Le couvent dort,
Indifférent à l’heure, toujours sombre,
Où les servantes de la mort
Vont s’enterrer dans l’ombre…