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ANTÉE

le monde sait) votre goût et votre imagination, votre amour des lettres et votre véritable respect pour l'art que je devais proclamer.

Quoiqu’il soit vrai que tous les hommes aient assez d’esprit pour porter un jugement sur ceci ou cela, et que beaucoup d’entre eux aient assez d’impudence pour l’imprimer (ces derniers étant communément appelés critiques), j’ai toujours pensé que la faculté critique est plus rare que celle de l’invention. C’est une faculté que votre Éminence possède dans un si haut degré que votre éloge ou votre blâme est en quelque sorte un oracle, et votre avis infaillible, qu’il porte sur un grand génie ou sur une belle femme. Votre esprit, je le sais, se réjouis­sant de fines distinctions et de subtils agencements de pensée, préférant de beaux développements à des conclusions hâtives, a trouvé dans la critique sa plus heureuse occupation. Il est dommage qu’un Mécène aussi parfait n’ait pas d’Horace à qui accorder son amitié, n’ait pas de Géorgiques à accepter ; car l’office et la fonction de patron ou de critique doivent nécessairement être amoindris en un âge de petites gens et de petits travaux. Jadis il n’y avait rien d’exceptionnel à ce que des grands princes et hommes d’état étendissent leur amour et leur faveur à des poètes, car, ce faisant, ils recevaient autant d’honneur qu’ils en conféraient. Le Prince Festus ne fut-il pas fier de prendre le chef-d’œuvre de Julien