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LE PIN.


 
Ce pin comme un navire à l’ancre désespère ;
Le vent n’a plus passé sur ses mâts de lumière
Depuis le samedi que le temps a compté.
Il lui manque aujourd’hui, dans le cœur de l’été,
La caresse allongée et fraîche des orages ;
Un matin de Juillet en a fait une image
Si douce qu’elle tient au livre des couchants
Et qu’elle n’a depuis, sur la gloire des champs,
Que l’air de pavoiser une futile chose.
Je me retrouve ainsi que l’arbre qui repose
Dans ma vie où le calme a rentré ses vaisseaux
Et je suis si lointain de l’heure des assauts
Que je n’ose, à me voir, me retrouver moi-même.
Quelques mots attendris comme les mots : je t’aime
Semblent éparpillés sur l’âme de mes yeux ;
Mes bras inconscients s’ouvrent pour saisir mieux
La maîtresse légère et grave qui s’appuie
Aux barreaux de mon âme où l’ombre s’est enfuie.
Avec le pin superbe et grand nous sommes deux
À mourir de la vie tranquille et peu à peu.
Le vent et la détresse ardente sont les frères
Qui sur le long chemin des maisons familières