Page:Antée, revue mensuelle de littérature, 1906-06.djvu/53

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LA TÉNÉBREUSE
47

l’autre se pressaient, ou bien une lourde auto dont la fuite faisait trembler les vitres. La rumeur légère des conversations, après son passage, se répandait à nouveau dans l’air mobile et limpide. Par l’animation du spectacle, les jeunes femmes peu à peu se sentaient transportées : une joie enfantine illuminait leurs prunelles attentives. Le monde, la vie, en cette minute leur apparaissaient allègres et clairs comme l’azur épars du ciel sur toutes choses reflété. Mais Boboli qui s’écrasait le nez au carreau soudain se rejeta en arrière en criant qu’elle avait vu le frère de la Colonelle — “ Où donc ? ” fit Cadichon qui sursauta. Elle n’eut du reste pas à chercher bien loin, car Latour venait d’entrer aux Glaces et se dirigeait vers elles.

Il semblait las et ennuyé. Sans être beau, son visage avec ses traits durs commandait l’attention. Il avait la bouche bien faite, les yeux froids, et sur toute sa personne un air de tranquillité si assurée qu’elle donnait l’impression à première vue d’une sorte d’insensibilité naturelle. Après avoir salué Cadichon et Boboli que Daquin lui présentait, il s’assit à côté d’elles en silence, et la tête un peu penchée, se mit à dévisager fixement les importuns qui, attablés autour d’eux, s’efforçaient en élevant la voix d’attirer l’intérêt de leurs