Page:Antée, revue mensuelle de littérature, 1906-06.djvu/516

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
502
ΑΝΤÉΕ

de son patron le grand Ruggiero, roi de Sicile, et s’éveillait tout à fait, lorsqu’entraient ses quatre ou cinq nièces et ses deux ou trois belles-sœurs. Déborah, Bice, Concetta, Safô, etc., nous apportant, l’une un couteau, l’autre, le sel, l’autre, une fourchette, la quatrième, un verre, tandis que le reste, discourant, appréciant, complimentant, faisait le rôle du chœur antique : “ dammi una frittola ” — “ dammi un baso ” — “ donne-moi un beignet ” — “ donne-moi un baiser ” ; Ruggiero s’allumait, les poursuivait autour des tables, pinçant des fesses, embrassant à tort et à travers, fourrant ses mains partout, recevant des claques, trébuchant, le nez en avant, pareil à une flamme, jusqu’à ce que survînt la patronne, une molle Junon, mais forte en gueule, avec laquelle il échangeait des propos sans douceur, et qui nous priait d’excuser.

M. Rémond a toujours eu de la sympathie pour les îles. Nous le connûmes dans celle que forment, entre deux bras de la Seine, les quais d’Anjou et de Bourbon. Il animait ce petit royaume de mille légendes charmantes, dans lesquelles l’excellente et admirable charbonnière du quartier, surnommée Force-de-la-Nature, la femme de ménage, si sym­pathique malgré son aspect de Mère-des-Calamités, le marchand d’œufs rouges, etc., s’agitaient comme un petit peuple épique et familier. L’île, par les souvenirs historiques dont elle est pleine, se prêtait